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Accompagner les transitions professionnelles : un défi collectif

Explorez les enjeux complexes des transitions professionnelles dans un marché du travail en mutation, les inégalités face à ces transitions, et les défis d'accompagnement pour les employeurs et les politiques publiques.

Chaque année, environ 1,4 million de mobilités professionnelles s'apparentant à des reconversions sont enregistrées en France. Ce chiffre impressionnant est d'autant plus frappant lorsqu'on apprend que près d'un actif sur deux envisage de franchir le pas. Pourtant, malgré cette volonté massive de changement, seulement 60 000 parcours de transition professionnelle sont financés annuellement. Ce décalage soulève des questions cruciales, particulièrement dans un contexte où les inadéquations entre les besoins collectifs et les aspirations individuelles à la mobilité s'accentuent.

Il est vrai que toutes les transitions professionnelles, aussi diverses et singulières soient-elles, n'ont pas vocation à être soutenues par la puissance publique. Néanmoins, l'écart entre les désirs de changement et l'accompagnement effectif interroge sur la capacité de notre société à gérer efficacement ces transitions.

1. Un marché du travail en mutation : entre besoins collectifs et aspirations individuelles

Le marché du travail français est actuellement soumis à des forces de transformation considérables. D'un côté, les mutations économiques, couplées aux transitions numérique, écologique et démographique, créent des déséquilibres importants. Les projections indiquent qu'à l'horizon 2030, ces déséquilibres pourraient représenter jusqu'à un tiers des besoins en recrutement.

De l'autre côté, on observe une amplification des aspirations à la mobilité professionnelle, phénomène exacerbé par la crise sanitaire et l'allongement de la durée de vie au travail. Les témoignages se multiplient, exprimant un fort désir de changement, motivé tant par une quête de sens au travail que par la recherche de meilleures conditions d'emploi.

Cependant, ces deux mouvements - aspirations individuelles à la mobilité et besoins collectifs de recrutement - ne convergent pas nécessairement. Cette divergence crée un défi majeur pour les acteurs du marché du travail, appelés à concilier ces forces parfois contradictoires.

2. Les moteurs du changement : insatisfaction, insécurité et quête de sens

Les raisons qui poussent les actifs à envisager une reconversion professionnelle sont multiples et souvent interconnectées. Une enquête commandée par France compétences en 2021 a mis en lumière trois principaux registres d'insatisfaction :

  • L'insécurité de l'emploi : Ce sentiment touche aussi bien les salariés craignant un licenciement que les demandeurs d'emploi confrontés à des recherches infructueuses dans leur domaine d'origine.

  • Les conditions contractuelles insatisfaisantes : Cela inclut des rémunérations jugées insuffisantes, des statuts précaires, ou des horaires de travail atypiques voire imprévisibles.

  • La quête de sens au travail : C'est la raison la plus fréquemment citée (27% des actifs au travail), englobant des notions d'utilité sociale, de cohérence éthique et d'accomplissement personnel.

  • L'impact de la crise sanitaire : La crise sanitaire a joué un rôle catalyseur dans cette dynamique. Près de 40% des actifs ont ressenti un impact négatif sur leur situation professionnelle, dont 14% évoquant une "profonde transformation" négative ou mitigée de leur travail. Ces bouleversements ont significativement accru le désir de changement professionnel.

3. L'impact générationnel : des jeunes en quête de mobilité aux seniors en recherche de soutenabilité

Les aspirations à la mobilité professionnelle varient considérablement selon les générations. Une enquête récente révèle que 73% des 18-24 ans et 63% des 25-34 ans envisagent de changer d'emploi à plus ou moins long terme. Plus frappant encore, 35% des 25-34 ans seraient actuellement en train de préparer une reconversion.

Cependant, il serait réducteur de voir dans ce phénomène uniquement l'expression d'une tendance générationnelle au "zapping" professionnel. En réalité, ces chiffres reflètent des problématiques plus profondes qui touchent l'ensemble des actifs. Une étude de la Dares montre que 37% des actifs salariés ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu'à la retraite, un sentiment particulièrement prégnant chez les travailleurs exposés à des risques professionnels ou dont l'état de santé est altéré.

Par ailleurs, dans un marché du travail caractérisé par des carrières de plus en plus horizontales, les mobilités professionnelles sont souvent perçues, à tort ou à raison, comme le principal moyen d'envisager une progression salariale.

4. L'inégalité face aux transitions : un défi supplémentaire

Si l'aspiration au changement professionnel est largement partagée, la capacité à concrétiser une transition révèle de profondes inégalités entre les individus. Ce processus, porteur d'opportunités, expose également à des risques face auxquels tous ne sont pas égaux.

  • Des ressources et des informations inégalement réparties : La transition professionnelle implique des coûts financiers et personnels non négligeables. Les individus sont inégalement armés pour y faire face, que ce soit en termes de ressources financières, de situation familiale, ou d'opportunités territoriales. De plus, l'accès à l'information sur le marché du travail et les dispositifs de reconversion reste un enjeu majeur. Près d'un actif sur deux déclare manquer d'information sur la formation professionnelle ou l'évolution de carrière, un déficit qui touche particulièrement les moins qualifiés, les seniors, et les personnes en situation précaire.

  • L'influence du milieu social sur les aspirations : Paradoxalement, les salariés en emploi peu qualifiés, bien qu'exposés à des conditions de travail plus difficiles, sont souvent moins enclins à envisager un changement de métier. Ce phénomène s'explique par les "préférences adaptatives" : les désirs s'ajustent aux possibilités perçues, limitant la capacité à se projeter dans de nouvelles fonctions.

  • Des freins multiples à la transition : La capacité à envisager et réaliser une transition dépend de facteurs variés :

    • L'environnement professionnel et les expériences d'apprentissage antérieures
    • Les facteurs sociaux comme la dévalorisation de soi ou l'autocensure
    • L'expérience de formation initiale, qui influence la confiance en sa capacité d'apprentissage

Ces éléments peuvent accroître l'appréhension du risque lié à la reconversion, particulièrement chez les individus les moins favorisés.

Face à ces inégalités, l'enjeu pour les politiques d'accompagnement est double : faciliter l'accès à l'information et aux dispositifs pour tous, et développer des approches adaptées qui prennent en compte ces disparités pour offrir un soutien équitable et efficace.

5. Entre accompagnement de l'employeur et parcours individualisé

L'évolution des dispositifs d'accompagnement des transitions professionnelles au fil des dernières décennies témoigne d'une prise de conscience progressive des enjeux, impliquant à la fois les employeurs et les salariés. Cette double approche, bien que nécessaire, montre aujourd'hui ses limites face aux défis actuels.

Les années 1990 ont marqué un tournant dans la gestion des transitions professionnelles, renforçant la responsabilité des employeurs. L'introduction des plans sociaux en 1989, puis leur remplacement par les plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) en 2002, ont instauré des garanties pour la reconversion des salariés licenciés, obligeant les entreprises à s'impliquer activement dans ces processus. Parallèlement, le développement de la flexisécurité et la généralisation du modèle de la compétence ont placé l'individu au centre de sa trajectoire professionnelle, créant un équilibre délicat entre l'accompagnement par l'employeur et l'initiative personnelle.

Cette double approche s'est concrétisée par la mise en place de dispositifs impliquant directement l'employeur, comme le bilan de compétences (1992) et la Validation des Acquis de l'Expérience (VAE, 2002), qui ont consacré la logique de parcours individualisé tout en nécessitant souvent le soutien de l'entreprise. Le Congé Individuel de Formation (CIF), qui a connu une montée en puissance à partir des années 1980, a offert une opportunité unique de formation à l'initiative du salarié, bénéficiant à environ 40 000 personnes par an entre 2010 et 2015, tout en impliquant l'accord et parfois le soutien financier de l'employeur.

6. Les limites du système actuel : Un équilibre fragile

Malgré ces avancées, le système actuel montre ses limites face à l'ampleur et à la diversité des besoins de transition. Les dispositifs existants, bien que nombreux et impliquant les employeurs à divers degrés, ne parviennent pas à couvrir l'ensemble des situations, notamment pour les travailleurs les plus vulnérables ou ceux issus de secteurs en déclin. L'équilibre entre l'accompagnement par l'employeur et l'initiative individuelle reste fragile, souvent au détriment des salariés les moins qualifiés ou les moins informés de leurs droits.

La question du financement est cruciale pour repenser l'accompagnement des transitions. Actuellement, le financement repose principalement sur des fonds publics et des contributions obligatoires des entreprises, reflétant la responsabilité partagée entre l'État, les employeurs et les individus. Cependant, face à l'ampleur des besoins, il est légitime de s'interroger sur la possibilité d'impliquer davantage le secteur privé, notamment en renforçant le rôle des employeurs dans le financement et l'organisation des transitions professionnelles, tout en préservant les droits individuels des salariés à l'initiative de leur parcours.

L'avenir des transitions professionnelles : un défi majeur pour les acteurs de l'emploi

En conclusion, l'accompagnement des transitions professionnelles se présente comme un défi collectif majeur pour les années à venir. Face à un marché du travail en mutation rapide et des aspirations individuelles en évolution, il est impératif de repenser nos approches et nos dispositifs.

Les professionnels des ressources humaines ont un rôle crucial à jouer dans cette transformation. Ils doivent non seulement être à l'écoute des aspirations individuelles, mais aussi anticiper les besoins futurs du marché du travail. Leur défi sera de créer des ponts entre ces deux dimensions, en développant des parcours de transition innovants et adaptés.

Pour relever ce défi, une collaboration étroite entre les acteurs publics, les entreprises, les organismes de formation et les individus sera nécessaire. C'est en adoptant une approche véritablement collective que nous pourrons transformer les transitions professionnelles en opportunités de croissance, tant pour les individus que pour l'économie dans son ensemble.

L'avenir du travail se dessine aujourd'hui à travers notre capacité à accompagner efficacement ces transitions. Il est temps d'agir collectivement pour faire de ces moments de changement des leviers de progrès social et économique.

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